En novembre 2015, Sandra Roumi, Présidente de Business Immo, écrivait dans ses colonnes « Professionnels de l’immobilier : tremblez… un peu ! L’uberisation est aux portes de votre industrie. » On brandissait déjà le spectre du changement de paradigme : l’immobilier basculera de la notion de propriété vers la notion d’usage. Or il semble bien que les français – tout particulièrement – y restent très attachés, à cette notion de propriété. Pour preuve, les 90% de locataires de l’échantillon du baromètre Digimmo Pierre & Vacances qui déclarent pour 58% d’entre-eux souhaiter devenir propriétaires dans les 5 ans à venir.

 

Des moyens (quasi) illimités

L’ombre des GAFAM – mais pas que – plane donc sur cette industrie non encore disputée. On attendait plutôt Amazon dans l’industrie des drones et de la robotique, mais en 2018 c’est vers PlantPrefab que se tourne le géant du e-commerce américain. L’objectif est à peine caché : s’ouvrir de nouvelles opportunités dans la maison pour les objects connectés pilotés par Alexa, l’assistant vocal du géant. « La voix est devenue une technologie attrayante dans la maison et il y a maintenant plus de 20.000 appareils intelligents compatibles avec Alexa provenant de 3 500 marques différentes. » déclare Paul Bernard, direction d’Alexa Fund (le fond d’Amazon pour financer des projets de technologie vocale)

Certains fleurons de la promotion immobilière en France ne s’y sont pas trompés en se lançant dans les objets connectés. Mais selon Bouygues Immobilier, si 90% des clients disent que ces logement connectés sont plus confortables et 92% des investisseurs estiment que cela facilitent la location du bien, seulement 60% des occupants utilisent bel et bien ces systèmes intégrés. Déployer une guirlande de technologies n’est pas viable encore moins conter les géants de la Silicon Valley qui investissent des budgets colossaux dans l’intelligence artificielle et la technologie du langage pour connecter les maisons à leurs écosystème. La bataille est sans merci.

 

Le disruption disruptée

Une innovation sans usage est juste vouée à l’échec. En 2016, Carrefour lance Pikit qui permet au consommateur de diviser par quatre le temps passé à faire ses course en scannant directement les codes barre depuis sa cuisine. Il s’agissait pour Carrefour « d’une évolution du comportement des clients qui veulent de plus en plus être acteur de leur consommation. Il n’en fallait pas moins à l’Usine Digitale pour titrer : « Futurs concurrent d’Amazon? ». La messe était dite. Juillet 2018, deux ans plus tard, Carrefour annonce un partenariat avec Google et prend acte qu’il n’imposera pas ses propres objets connectés et apps dans le quotidien des foyers. Résultat des courses : l’usage aura eu raison de Pikit et ses louables ambitions. Avec Google Assistant, il suffit d’appeler une marque au début de la conversation pour « dialoguer » avec elle…

Le secteur de la smart home est en croissance et tend vers une adoption massive. Mais il est encore très fragmenté et les offres et fonctionnalités sont parfois très confuses. Les assistants vocaux participent à la « coagulation » du secteur au détriment d’initiatives isolées qui vont se casser les dents faute d’interopérabilité. Même si les promesses de simplicité ne sont encore que publicitaires, les géants n’ont pas de mal à s’imposer tant leur marques et leurs produits sont déjà bien implantés dans l’esprit ET dans les usages.

 

L’interopérabilité salvatrice

Avant de passer au stade de l’adoption massive, il est nécessaire d’éliminer plusieurs écueils : notamment des protocoles de communication éclatés qui freinent l’interopérabilité. Cette dernière est l’habilité d’échanger des informations entre différentes application. C’est un des enjeux majeurs du BIM ou Building Information Model. La collaboration en est un des piliers : comme il n’est pas possible de demander à tous les intervenants d’un projet (architectes, maitre d’oeuvre, vendeurs, gestionnaires) d’utiliser les même applications, les données doivent être échangées. Il existe de nombreux outils spécifiques comme le calcul de luminosité, la visualisation 3D ou encore l’extraction de quantité. L’ensemble de ces outils doivent être capables de s’interfacer pour collecter et échanger de la donnée. D’autant plus que la chaine de valeur traitée par le BIM est très étendue, de la conception à l’exploitation des bâtiments, en passant par la commercialisation. Et non plus seulement de la gestion à la construction.

Jusqu’ici les outils fonctionnaient en silo, ce qui empêchait tout échange de données. L’objectif est ainsi, à travers cet écosystème, de réduire les erreurs et mutualiser les coûts. Les enjeux sont colossaux : maintenance prédictive, réduction de la non qualité, optimisation environnementale, utilisation dynamique des espaces, réalité augmenté, objets connectés, etc. Si colossaux que le gouvernement déploie des plan pour accélérer l’interopérabilité : le PNTB (Plan Transition Numérique dans le Bâtiment) ou encore le nouveau plan BIM 2022.

 

Prendre de la hauteur

Quand on regarde de plus près la partie d’échecs qui est en train de se jouer, on peut constater qu’il ne s’agit pas QUE d’objets connectés ou de préfabrication.

Retour dans la Silicon Valley chez PlantPrefab, qui touche également à d’autres enjeux de l’immobilier. Au-delà de proposer des maisons entièrement équipées (via des partenariats avec General Electric, Nest ou encore Kohler), ils proposent également une solution très concrète à la crise du logement, aux coûts de l’immobilier et aux enjeux environnementaux. Ils font ainsi partie de ces champions de la construction hors site, qui s’érigent en solutions contre les grands enjeux de notre époque, et n’imaginent pas une seconde produire autrement

Au Canada, ce n’est pas anodin si la bonne fée Google se penche sur le berceau d’un nouveau quartier à Toronto à travers la filiale d’Alphabet (holding maison mère de Google), SideWalk Labs. Et quand on regarde les entreprises de la holding, les pièces du puzzle s’assemblent quasi parfaitement. L’interopérabilité prend alors un autre sens : sur 16 entreprises, la moitié sont liées de près ou de loins à la l’immeuble ou à la ville et chacune n’opère que sur une partie (bien précise) de la chaine de valeur : domotique, fibre optique, voitures autonomes, géothermie, drones, etc.

Plus que de disruption – bouleversement d’un marché sur lequel les position sont établies avec une stratégie inédite qui créé un nouvel usage – il est bien question ici de collaboration pour atteindre un objectif commun.